Quand les motards parlent de conduite en virages, ils évoquent souvent la position de conduite et le placement de regard. Ces deux points ont en commun un élément souvent négligé : notre tête ! La position de la tête est fondamentale en conduite moto, surtout quand la machine est inclinée, quelle que soit la vitesse et la position du reste du corps. Explications.

Première publication en juin 2024

Cet article vient en complément de ceux consacrés à la conduite en virages :

Résumé

A moto, il est fondamental de toujours garder la tête droite, verticale par rapport au sol, avec les yeux parallèles à l’horizon.

Introduction

La conduite en virages à moto constitue sans doute le principal sujet de discussion entre motards. On vous donnera toutes sortes de conseils (plus ou moins adaptés / pertinents) avant tout sur la trajectoire, la position du corps, le placement de regard… Parfois aussi sur la gestion des appuis. Et encore moins souvent sur la position de la tête.

La position de la tête en virage revêt pourtant une grande importance car elle influe sur deux points fondamentaux :

  • le regard (et donc la trajectoire, par voie de conséquence)
  • la perception de l’inclinaison, laquelle va elle aussi avoir des conséquences sur la vitesse et la trajectoire.

Prêter attention à la position de votre tête constitue d’abord un élément primordial de la sécurité de votre conduite en virages à moto et ensuite un point facile à corriger pour vous sentir plus à l’aise.

Cet article est un développement d’un point que j’avais déjà abordé en 2012 dans l’article sur la position du corps en virage, mais en le survolant, sans creuser davantage. Avec le temps, je me suis aperçu au cours de mes stages avec des centaines de motards qu’il s’agissait d’un point important, pourtant trop souvent ignoré et qui mérite bien de se voir consacrer un article spécifique.

Parenthèse d’anatomie

L’être humain est et demeure caractérisé par sa bipédie.
Notre espèce est unique dans le monde par sa bipédie permanente, posturale et de locomotion. C’est grâce à sa posture verticale qu’Homo sapiens a pu libérer ses mains pour en faire des outils et développer la taille de son cerveau.

Depuis des milliers d’années, nous sommes habitués à rester en équilibre sur nos pieds pour ne pas tomber au sol. Perdre l’équilibre implique le risque de se faire mal, de porter atteinte à notre intégrité physique. Se retrouver au sol complique considérablement de fuire une agression extérieure. En plus, cela nous rend plus vulnérables face à un agresseur, contre lequel nous pouvons moins bien nous défendre.
En bref, notre instinct de survie nous impose en permanence de rester debout et en équilibre.

Théorie du cerveau reptilien

La gestion de notre équilibre corporel fait partie de nos fonctions vitales, gérées par une partie de notre cerveau, communément appelé « reptilien » (dit aussi cerveau primitif, archaïque ou primaire).
Au niveau purement anatomique, il correspond au tronc cérébral : bien protégé, en profondeur, il est la structure cérébrale la plus résistante à un traumatisme crânien.

Le cerveau reptilien est un concept scientifique censé expliquer nos comportements primitifs, nos besoins les plus élémentaires. Ce modèle du « cerveau trinunique » (formé de trois parties : reptilien, limbique et néo-cortex) est aujourd’hui largement remis en question.

Mais il n’en reste pas moins vrai qu’une partie de notre cerveau traite sans que nous ayons besoin d’y penser nos fonctions vitales, indispensables pour la survie de l’individu et de l’espèce :

  • l’homéostasie, c’est-à-dire la régulation de la respiration, du rythme cardiaque, de la tension artérielle, de la température corporelle, etc. ;
  • la satisfaction des besoins primaires, tels que l’alimentation, le sommeil, la reproduction ;
  • l’instinct de conservation et certains réflexes de défense.

Ce cerveau primitif entraîne des comportements stéréotypés, pré-programmés, avec une réponse extrêmement rapide, semblable à un réflexe (un vrai, pas un automatisme acquis). Les comportements induits par le cerveau reptilien ne peuvent évoluer avec l’expérience et ne peuvent pas s’adapter à une situation.

Le cervelet et ses capteurs

En termes médicaux, on dit que l’équilibre est une fonction indispensable au maintien de la position érigée bipodale (debout sur nos deux pieds).

La préservation de l’équilibre corporel fait partie de nos fonctions vitales et est assurée par une partie bien précise de notre cerveau : le cervelet.

Le cervelet est le centre de l’équilibre et de la coordination des mouvements.
Il est situé sous le cerveau, à l’arrière du crâne, dans la région dite occipitale. C’est un centre nerveux qui communique avec l’ensemble du système nerveux, ainsi qu’avec les organes de la vision et de l’audition. En bref, c’est un véritable « ordinateur central » qui reçoit à chaque instant des informations, informe les centres nerveux, repère les erreurs, fait des comparaisons et corrige le programme moteur.

Parmi les informations qu’il reçoit, on compte notamment celles qui concernent notre équilibre et qui lui sont envoyées par trois circuits de perception de l’équilibre.

Nous ne nous en rendons pas compte, mais l’équilibre est une merveille de coordination du corps.
Celui-ci dispose d’un réseau de capteurs sensoriels :

  • la plante des pieds renseigne sur le sol sur lequel nous marchons ;
  • les muscles et les articulations envoient des informations au cerveau sur le corps ;
  • les yeux renseignent sur la position de la tête ;
  • l’oreille interne, la partie la plus intérieure de l’oreille, joue un rôle clé dans l’équilibre grâce au système vestibulaire.

Le système vestibulaire

Au premier rang des circuits de capteurs d’équilibre figure ce qu’on appelle le système vestibulaire, dont le rôle est d’informer en permanence le cervelet de la position et des mouvements de la tête, grâce à l’oreille interne et aux yeux.

Cet organe sensoriel permet de se repérer dans l’espace. Il joue un rôle clé dans le maintien de la posture et la stabilisation du regard. Ce système fonctionne comme un capteur de mouvement et sert à informer le système nerveux central de tout déplacement de la tête ainsi que sa position.

Comment ?
Au niveau de l’oreille interne, des récepteurs (appelés canalaires) détectent l’accélération angulaire (vers la gauche ou la droite) de la tête dans l’espace, tandis que d’autres récepteurs (appelés otolithiques) détectent l’accélération linéaire (vers l’avant ou l’arrière) et l’inclinaison de la tête par rapport à la gravité.

Les voies vestibulo-oculaires permettent la stabilisation de l’image du monde visuel sur la rétine lors des mouvements de la tête, par le réflexe vestibulo-oculaire (RVO) : au niveau des yeux, les muscles oculaires travaillent à maintenir un mouvement rapide et compensateur de l’œil dans la même direction, mais de sens opposé à la rotation de la tête.
Ainsi, quand la tête bouge dans une direction, les yeux bougent dans la direction opposée avec une vitesse identique.

Les voies vestibulo-spinales permettent la stabilisation de la tête par le réflexe vestibulo-nucal (RVN) et du corps dans l’espace grâce au réflexe vestibulo-spinal (RVS) :

  • Le réflexe vestibulo-spinal permet le maintien de la posture et du centre de gravité du corps sur un support (comme la selle et les repose-pieds d’une moto, par exemple).
  • Le réflexe vestibulo-nucal est un réflexe de stabilisation qui sert à maintenir la tête dans une position où le regard est horizontal (relativement à la gravité), et ce indépendamment des mouvements du tronc, dans le but de maintenir le regard droit.

Trop compliqué ?
Disons que ce sont nos yeux et nos oreilles qui enregistrent la position de la tête et les mouvements de celle-ci afin d’en informer le cervelet, lequel va en déduire le risque de déséquilibre du corps et les mesures à prendre pour corriger ce risque.

Sauf que… le système vestibulaire ne concerne pas l’ensemble du corps, mais seulement la tête !

La proprioception

Pour le reste du corps, le cervelet dispose d’un autre circuit de perception de l’équilibre : la proprioception.
C’est un système sensoriel dit « profond », qui renseigne le cervelet sur la position du corps dans l’espace, même les yeux fermés, même dans le noir, même quand nous sommes aveugles, quand nous perdons le contact avec le sol, quand nous sommes tête en bas, quand nous sommes en apesanteur dans l’air ou dans l’eau…

La proprioception fonctionne grâce à près de 30 millions de récepteurs sensoriels (propriocepteurs), présents dans tout le corps : les muscles, les articulations, les ligaments, les tendons, la peau… Ceux-ci adressent des signaux vers le cervelet (proprioception inconsciente) et le cerveau (proprioception consciente), les renseignant sur la tonicité des muscles et la position exacte des différentes parties du corps.
Ces centres nerveux réagissent ensuite en contractant ou relâchant certains muscles, afin de réguler le tonus postural et de réaliser les mouvements désirés.

Les propriocepteurs font partie des mécanismes de contrôle de l’exécution du mouvement, de la régulation de l’équilibre du corps et de sa localisation dans l’espace.
C’est grâce à eux que nous ressentons et modifions notre position sur la moto.

C’est pour cela que nous devons conserver en permanence la plus grande surface possible de contact avec la moto, au niveau des mains sur le guidon, des pieds sur les repose-pieds, des cuisses sur le réservoir… et (dans une moindre mesure) des fesses sur la selle.

Conséquences concrètes pour les motards

Bon, tout ça c’est bien beau, mais qu’est-ce que ça veut dire pour nous ?

Les limites d’inclinaison

Il s’agit de bien comprendre les trois limites d’inclinaison d’une moto :

  • limite physiologique de perception de l’équilibre corporel par le système vestibulaire
  • limite mécanique de garde au sol de la moto
  • limite d’adhérence des pneus

La tête

Le premier point à comprendre est que votre cerveau est habitué à la station debout et n’accepte qu’une inclinaison limitée pour ne pas que le corps risque de perdre l’équilibre.

Si le cervelet perçoit que votre tête est penchée au-delà de l’inclinaison habituelle pour un piéton (c’est-à-dire supérieure à environ 20-25 degrés par rapport à la verticale), que l’horizon n’est visuellement pas à l’horizontale, il va émettre un signal de déséquilibre.

Ce signal de déséquilibre sera interprété par le cortex comme un risque de tomber.
Mais à la différence du cervelet, le cortex sait que vous n’êtes pas debout sur vos pieds en contact avec le sol, mais bien assis sur une moto où ce sont les pneus qui sont en contact avec la route.
En toute logique (pour lui), il va analyser que ces pneus risquent de glisser… et donc vous inciter à redresser la moto pour éviter de tomber.

Pencher la tête en virage au-delà de 25° d’angle ne fera que vous donner une sensation de déséquilibre, qui sera interprétée par le cerveau comme un risque de glissade – ce qui vous poussera à redresser la machine ou tout au moins à refuser de l’incliner davantage.

La garde au sol

La deuxième limite d’inclinaison réside dans la géométrie de la moto et surtout dans sa garde au sol, évidemment variable en fonction du type et du modèle de machine.
Il y a un monde entre une moto de type custom, qui « frottera » dès 30° d’angle, et un maxi-trail surélévé ou encore une pistarde avec une garde au sol presque insondable…

Dans tous les cas, les ingénieurs qui ont conçu une moto l’ont étudiée pour que ce soit les tétines (ou tétons ou encore ergots) de repose-pieds qui touchent le sol en premier quand les suspensions se compriment…

Quelques conditions, cependant.
Il faut évidemment que les repose-pieds de la moto soient équipés de ces tétines. Certaines motos, notamment celles destinées à la pratique en tout-terrain, n’en comportent pas, entre autres pour éviter que cet organe saillant ne se prenne dans un obstacle. Les machines sportives de piste n’en comportent pas non plus, afin de pouvoir les incliner au maximum.
Il faut également que ces tétons existent encore, qu’ils n’aient pas été limés, abrasés, usés à force de racler sur le sol.
Enfin, il faut que les suspensions de la moto soient bien réglées, en état d’assurer l’assiette de la moto prévue à sa construction.

L’adhérence des pneus

La limite que redoutent tant nombre de motards est finalement la plus lointaine.
Dans des conditions optimales d’adhérence (sur un enrobé propre, avec des pneus récents, bien gonflés et chauds), un pneu routier par exemple pourra supporter sans glisser une inclinaison d’environ 50 degrés par rapport à la verticale.
Alors que la plupart des motards seront déjà bien contents d’incliner à 30 degrés et qu’un motard expérimenté commencera à se faire peur aux alentours de 45° d’angle.

A partir de là, comment faire pour ne plus avoir peur d’incliner au maximum des capacités de votre moto ?

Garder la tête droite

Bien entendu, il faut adapter chacune des quatre composantes de la conduite moto en virage : position, trajectoire, allure et regard.
Ces composantes interagissent entre elles et aucune ne peut être isolée des autres.

La position de la tête concerne bien sûr la composante de position du haut du corps.
Mais elle est et doit en être indépendante.

Beaucoup de motards adoptent (plus ou moins consciemment, généralement par habitude, par mimétisme avec la pratique du vélo) une position « standard », dans laquelle le corps s’incline selon le même angle que la moto.

Par défaut, par habitude, par ignorance… beaucoup gardent la tête dans l’axe vertical du corps et inclinent donc la tête vers l’intérieur du virage – ce qui les empêche d’incliner plus loin que les 20-25 degrés que supporte le cervelet d’un piéton.

Il suffit d’incliner légèrement la tête vers l’épaule extérieure au virage pour la remettre verticale, droite par rapport au sol (et non par rapport au tronc ou à la moto) pour se sentir plus à l’aise et donc oser pencher plus loin.

Si vous voulez tendre vers la limite de garde au sol de votre moto, quelle que soit la position du reste de votre corps, veillez toujours à conserver la tête la plus droite possible.

Voyez comme dans chaque position, la tête du conducteur reste droite – tout au moins plus droite que son tronc et que la moto.
Et ce, quelle que soit la moto.
Y compris dans les situations les plus extrêmes.

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