Anticiper, le bon vieux mot-valise qui veut tout et rien dire ! Bien sûr, pour conduire à moto en sécurité, il faut anticiper. Comme pour bien conduire en voiture, d’ailleurs. Et comme pour tout dans la vie, finalement. Anticiper, c’est bien. Mais pourquoi ? Et surtout comment ?

Publication en décembre 2023

Articles à lire en complément :

Définition de vigilance : surveillance attentive et soutenue.
Définition d’anticipation : prévoir ce qui va arriver et y adapter par avance sa conduite.

La notion de vigilance recouvre à la fois :

  • une disposition mentale (être vigilant, concentré, attentif) ;
  • une obligation sensorielle d’observation / détection, qui repose avant tout sur la perception visuelle.

La notion d’anticipation recouvre quant à elle des processus essentiellement cognitifs (effectués par le cerveau et plus précisément par le cortex préfrontal) d’analyse, de décision et de coordination psychomotrice.

Si on ajoute l’anticipation à la vigilance, cela veut dire que :

  • nous verrons les dangers,
  • nous les analyserons et pourrons adapter notre conduite à l’avance.

En termes concrets, l’anticipation (littéralement « prendre avant ») se base essentiellement sur la prévision du futur en vue d’un ajustement des actions et situations du présent.

Anticiper, c’est d’abord prévoir les conséquences (pour nous et pour les autres) de notre comportement, de nos actions, de notre conduite – ce que beaucoup de conducteurs (automobilistes comme motards) ne font pas car ils circulent en mode « automatique » (passif), sans réfléchir aux conséquences de leurs actes. Sans parler des possibles facteurs de distraction qui accaparent le cerveau…

Anticiper, c’est aussi présupposer ce qui pourrait se passer, analyser l’environnement, les indices, les menaces visibles et potentielles.

Mais comment le faire efficacement ?

Les prérequis de l’anticipation

La conduite sur route ouverte est un processus mental complexe.
En France, on parle généralement de PADA : percevoir, analyser, décider, agir.

Les Américains utilisent l’acronyme SEE pour « search, evaluate, execute » : rechercher, évaluer, exécuter.
Le mot « see » signifie « voir », ce qui permet de souligner que tout repose sur la vision, l’observation.

Percevoir

On parle de « percevoir » car il ne s’agit pas de seulement « voir » (avec une notion de passivité), mais plutôt de « chercher-identifier », de regarder (activement) tous les éléments d’information qui se présentent devant vous, derrière et sur les côtés.

Il s’agit de :

  • rechercher les menaces potentielles ;
  • déterminer rapidement si elles représentent une menace réelle ou non ;
  • si oui, avec quel degré de priorité / urgence.

Percevoir suppose :

  1. une première étape sensorielle (voir, capter des images) ;
  2. une seconde étape cognitive, de traitement de l’image par le cerveau.

La détection des menaces visibles / identifiées, mais aussi des menaces potentielles / masquées est la base de l’anticipation.
L’observation / détection correcte des indices visuels suppose de savoir « regarder loin et partout ».
Voir l’article Où regarder ?

Analyser

Il s’agit d’analyser une information en particulier et la situation en général, de s’orienter mentalement et physiquement pour être capable de traiter l’information de façon rapide et pertinente.
Cela concerne aussi bien votre position sur la moto que le placement de la moto sur la route ou sa vitesse… ou le comportement d’un autre usager.

L’analyse des informations, c’est appliquer un « filtre visuel » afin de hiérarchiser ces nombreuses informations par ordre d’importance pour votre sécurité, pour ce qui vous concerne en tant que conducteur/trice de moto.
C’est aussi pouvoir réfléchir aux dangers potentiels, à ce qui pourrait se passer, aux différents scénarios possibles à partir de la situation visible, aux possibilités de dangers cachés / masqués…

En conduite normale, l’objectif principal est de constamment s’adapter (ajuster notre placement et notre vitesse) à la configuration de l’environnement pour toujours conserver la meilleure visibilité possible.

En situation d’urgence, c’est de hiérarchiser très vite les informations pour se focaliser sur la plus importante en termes de sécurité.

Décider

Il peut paraître aisé de prendre une décision simple face à une situation de danger, comme par exemple choisir de freiner, d’éviter ou d’accélérer face à une voiture qui vous déboîte sous le nez.

Mais cette décision dépend en fait d’un grand nombre de variables, parmi lesquelles (en vrac) les conditions météo, le niveau de compétence de pilotage, les habitudes prises ou le niveau d’entraînement dans les différentes manoeuvres possibles.

Décider de la manière de gérer une situation délicate s’avère difficile quand vous n’êtes pas certain des réactions de la moto, par exemple parce que vous n’avez jamais pratiqué de manoeuvre d’évitement.

Ces décisions à prendre impliquent :

  • soit de la réflexion (ce qui prend du temps pendant lequel la moto continue d’avancer),
  • soit de l’expérience vécue de façon directe ou indirecte (pour décider plus vite).

Agir

La dernière étape résulte des trois autres.
Ce n’est que parce que vous aurez bien observé, que vous aurez (vite et bien) analysé et que vous aurez pris une décision (rapide et correcte) que vous pourrez entreprendre toutes les manoeuvres nécessaires pour éviter la menace – que ce soit de simplement ralentir bien avant l’obstacle parce que vous l’aurez senti venir ou un évitement d’urgence au dernier moment.

Pour répondre de la façon la plus adaptée à un environnement dynamique, changeant, il faut être capable de mettre en oeuvre toutes les solutions possibles.
Pas juste celle que vous utilisez tout le temps parce que vous n’avez appris que celle-là…

Anticiper repose sur l’aisance

En bref, « anticiper » suppose une analyse (correcte et rapide) la situation.
Cette analyse présuppose d’avoir d’abord observé et détecté les dangers visibles et potentiels, de les avoir hiérarchisés.
Cette analyse débouche ensuite sur une prise de décision, un comportement à observer, des actions à mener afin de se mettre en sécurité.
Cette décision entraîne des actions qui devront être efficaces, donc mises en oeuvre de façon rapide, avec des gestes précis.

En effet, les phases d’observation, d’analyse et de décision ne serviront à rien si elles ne conduisent pas à des actions efficaces.
Un passager peut tout à fait percevoir, analyser et décider, aussi bien et aussi vite que le conducteur… mais ne peut pas (ou très peu) intervenir sur la conduite de la moto.

La rapidité et la précision des actions supposent une bonne coordination psycho-motrice.
Cette coordination ne peut s’acquérir que par l’entraînement, la répétition des séquences psycho-motrices. Plus celles-ci sont complexes et plus il faudra s’entraîner, répéter, « driller ».

La bonne mise en oeuvre des actions repose sur un tandem véhicule-conducteur :

  • une moto apte à accomplir n’importe quelle manoeuvre, en bon état mécanique, bien entretenue ;
  • un conducteur (ou une conductrice) en pleine possession de ses moyens, compétent(e), formé(e), entraîné(e).

Parce que l’essentiel des processus d’anticipation s’avère de nature cognitive, il requiert un cerveau qui fonctionne bien, qui ne se trouve ni en état dégradé, ni distrait par des éléments extérieurs : usage du GPS ou du téléphone, conversation avec un passager, écoute de la radio ou de musique.
Lire Rouler au mieux de sa forme

Cela implique de :

  • conduire au mieux de ses capacités, de ne pas se trouver en un état dégradé de ses aptitudes physiques et mentales à cause de facteurs perturbateurs (fatigue, stress, alcool, médicaments) ;
  • savoir détacher son regard de la moto pour le rendre mobile et évolutif en permanence, de dissocier l’axe du regard de celui de la machine sans dévier de trajectoire…

Au final, pouvoir anticiper correctement suppose de se sentir totalement à l’aise au guidon en toutes circonstances, de ne plus avoir besoin de réfléchir à ce qu’on doit faire, afin de consacrer 99% de ses ressources mentales à l’observation et à l’analyse.

Attitude au guidon

Je reprends ici l’acronyme S.E.E. utilisé par les organismes américains de sécurité routière, notamment la Motorcycle Safety Foundation (MSF).
Si vous comprenez l’anglais, vous trouverez plein de ressources documentaires sur leur site.

S = search
Un(e) motard(e) doit observer en permanence son environnement de conduite, y compris derrière et sur les côtés, en surveillant constamment ces trois éléments :

  • la signalisation, les panneaux, les marquages au sol
  • les caractéristiques et l’état de la chaussée
  • les autres usagers de la route, de toute nature

E = evaluate
L’objectif est de savoir évaluer très rapidement chaque situation et en tirer des décisions. L’approche recommandée est de toujours « imaginer le pire ».

E = execute
Après avoir identifié les risques et prévu les issues possibles, il s’agit d’adapter sa conduite de façon adéquate.

Ces trois processus s’appuient sur trois niveaux qui composent une attitude globale au guidon : physique, cognitif et sensoriel.

Niveau physique

Rouler à moto s’avère bien plus exigeant physiquement que de conduire une voiture.
La position de conduite doit rester dynamique, alors que les machines ne sont pas toutes des plus confortables. Les actions de « pilotage » requièrent une coordination psychomotrice et des gestes de l’ensemble du corps. Le bruit ambiant, la résistance de l’air, l’exposition au froid ou à la chaleur, à la pluie… créent un environnement de conduite beaucoup plus fatigant qu’en voiture.

Rouler à moto exige une grande résistance physique, surtout sur long trajet et/ou dans des conditions difficiles.
Il est fondamental autant de s’y entraîner que de rester lucide sur ses capacités.

Niveau cognitif

A moto, la vigilance, la concentration, le discernement, la prise de recul mental sont des facultés cognitives aussi importantes que la maîtrise technique de la machine.
L’adaptation de sa conduite, notamment de sa vitesse, en fonction de la visibilité peut parfaitement compenser un manque d’aisance au guidon. A l’inverse, une surestimation de ses capacités de conduite, avec le choix d’une vitesse inadaptée par rapport à la visibilité ou à l’environnement de conduite, peut amener à une prise de risque.

Or l’expérience sensorielle intense qu’est la conduite moto (surtout par rapport à la voiture) génère la secrétion d’importantes quantités d’hormones, notamment l’adrénaline et les endorphines. Ces hormones peuvent venir perturber le bon fonctionnement du cortex.
Entre la peur de l’accident, le stress lié à la vulnérabilité du motard, mais aussi l’exaltation de l’accélération, le plaisir de la liberté et de la vitesse… un flot de substances biochimiques peut distraire le cerveau de sa priorité : observer, détecter, analyser, décider.
D’où l’importance de rester concentré, de garder la tête froide.

Niveau sensoriel

A moto, nous roulons bien plus en contact avec l’environnement qu’en voiture. En voiture, on subit la route, on attend juste d’être arrivé à destination. A moto, on vit la route : les irrégularités du revêtement, le bruit du moteur et du vent relatif, les changements de température…
Pour beaucoup, c’est cette connexion directe à l’environnement qui fait que la conduite à moto est si libératrice, si intense, si vivante.
Mais il faut garder à l’esprit que c’est aussi ce qui la rend fatigante (physiquement) et perturbante (mentalement), comme expliqué ci-dessus.
Et c’est également ce qui rend le motard si vulnérable en cas de chute !

Conclusion

Dire « il faut anticiper » et s’arrêter là… ça ne sert à rien !
Vous dire à vous-même « je dois anticiper » ne vous mettra pas plus en sécurité.
Ce mot d’anticipation est juste un résumé de tout ce qu’il suppose, de tous les prérequis qui permettent l’anticipation.
Une fois que vous avez rassemblé l’ensemble de ces prérequis, l’anticipation se fait toute seule : pas besoin de se le dire ou d’en faire un « maître-mot ».

Ce qui est long et demande du temps, de la pratique, de l’expérience, c’est d’acquérir ces prérequis.
Ce qui est compliqué, c’est d’en tirer les bons enseignements, d’adopter une conduite défensive, fondée sur ce double postulat :

  • les autres conducteurs ne nous voient pas (ou mal)
  • nous devons nous rendre le plus visible / détectable possible

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