Comment former / instruire des conducteurs et surtout des motards ? Quelles sont les spécificités de la formation à la conduite moto, en fonction des différents publics rencontrés ? Quels outils peut mettre en place un formateur pour travailler efficacement et apporter une véritable plus-value à ses élèves ? Réflexions sur les méthodes de l’andragogie appliquée au public motard.

Publication en décembre 2023

Articles à lire en complément :
Devenir formateur moto
Réflexions sur la formation initiale des deux-roues

Introduction

C’est un sujet qui ne va pas passionner les foules motardes, j’en ai bien conscience.
Cet article s’adresse surtout à mes consoeurs et confrères formateurs de conduite moto, ainsi qu’à tous les moniteurs, animateurs ou instructeurs, professionnels ou amateurs, bénévoles ou non, qui s’occupent de perfectionnement de conduite moto post-permis.

En France, la formation moto est ceci de particulier qu’elle concerne des publics extrêmement différents, avec des profils bien plus variés qu’en formation voiture, surtout en termes d’âge.

En formation auto, nous encadrons des personnes très majoritairement âgées de 16 à 25 ans, que ce soit des adolescents de 16 à 18 ans pour la formation initiale avant la phase de conduite accompagnée ou des jeunes adultes de 18 à 25 ans pour la préparation de l’examen pratique du permis de conduire de catégorie B.
De plus, ces élèves ne possèdent pas ou peu d’expérience de conduite.

Bien sûr, il peut aussi nous arriver de former des adultes de plus de 25-30 ans, mais cela reste une nette minorité, sauf dans des zones géographiques bien précises à forte population d’origine étrangère, avec des migrants adultes qui passent le permis à 30, 40 ou 50 ans.

Quant au perfectionnement post-permis en voiture, il reste quasi inexistant en dehors des centres spécialisés (comme Centaure, Conduire Juste ou Automobile Club Prévention) qui s’adressent principalement à des entreprises pour leurs salariés.
Ces formations sont alors effectuées soit avec des véhicules de la flotte d’entreprise, soit avec des véhicules loués par le centre de formation – mais rarement avec les véhicules privés des stagiaires.

En formation moto, la fourchette d’âge et d’expérience s’avère bien plus large.
Nous pouvons être amenés à former de très jeunes élèves : dès l’âge de 14 ans dans le cadre du permis AM « cyclomoteurs », ainsi que des adolescent(e)s de 16 à 20 ans pour le permis A1.

Bien sûr, l’essentiel de nos élèves en formation initiale vise le permis A2, mais le spectre d’âge se révèle plus élevé et plus varié qu’en permis B.
Les jeunes adultes de 18 à 20 ans deviennent rares. La majorité de nos élèves motards a entre 20 et 30 ans, mais les 30-40 ans sont très présents. Les plus de 40 ans ne sont plus exceptionnels, avec parfois des cas particuliers de plus de 60 ans, voire de plus de 70 ans.

A la différence des permis B, AM ou A1, la plupart de nos élèves A2 possèdent déjà une expérience de conduite.
Cette dernière s’est en général effectué en voiture, mais une proportion non négligeable d’élèves pratiquent ou ont pratiqué le deux-roues moteur – sur la route ou non, que ce soit en moto ou scooter 50 cm3, en moto ou scooter 125 cm3, sur des machines de 125 à 450 cm3 dans le cadre d’une activité sportive (enduro, trial)… aussi bien pendant quelques mois que pendant des années… dans des environnements de conduite variés (ou pas)…

Et la diversité s’avère encore plus grande dans les formations post-permis !

Nous retrouvons évidemment en formation passerelle nos anciens élèves A2, mais avec au moins deux ans de plus. Pendant ces quelques années, certains ont beaucoup roulé à moto, d’autres pas du tout ou très peu (voire parfois en scooter, même 125). Certains ont gardé la même moto, d’autres en ont changé une ou deux fois. Certains ont roulé en groupe et/ou en duo, d’autres conduisent toujours seul(e)s. Certains ne font que des trajets domicile-travail, d’autres ne font que des balades, d’autres les deux.

Même diversité d’âge et d’expérience pour les personnes qui viennent passer une journée en formation afin d’obtenir l’équivalence du permis A1, avec pour seule condition deux ans d’ancienneté de permis B.

Quant aux formations de perfectionnement moto, que ce soit en école ou en association, la moyenne d’âge tourne entre 40 et 50 ans, avec des extrêmes très accentués, aussi bien des « petits jeunes » de 20-25 ans que des « seniors » de 60 à 80 ans.

Sans parler de la grande variété d’expérience, de niveau de maîtrise, de pratiques de conduite, de machines utilisées…
Car les véhicules utilisés sont alors les motos privées des stagiaires, avec toutes les difficultés que cela présente : souvent pas ou peu protégées en cas de chute, avec la peur d’abîmer une moto à laquelle ils tiennent et qui vaut souvent cher, avec l’impératif de devoir rentrer avec ce véhicule à la fin de la journée…

Et aussi une immense diversité de morphologies, de conditions physiques, de pépins de santé plus ou moins importants, d’états d’esprit, d’éventuels psychotraumas plus ou moins graves.

La question est simple : devant une telle diversité de publics, de formations et d’attentes, pouvons-nous employer indifféremment les mêmes méthodes pédagogiques ?
Ma réponse est non. Et voici pourquoi !

Le saviez-vous ?

Passion Moto Sécurité est un site gratuit et bénévole.
Or ces articles demandent beaucoup de temps en recherches. Pour soutenir notre démarche d’information pour la sécurité routière des motards, vous pouvez nous aider (à partir de 1 euro ou juste en visionnant des publicités) grâce à la page Tipeee !
Pensez-y… Merci d’avance !

Situation actuelle de la pédagogie moto en France

Je suis intimement convaincu que la qualité première d’un formateur, quel que soit son domaine d’activité, est de savoir s’adapter à ses apprenants.
Cette adaptabilité fait partie d’un ensemble de connaissances, de compétences et d’attitudes regroupées sous le vocable de « pédagogie ».

Cette adaptation suppose impérativement de prendre en compte les trois sommets du triangle pédagogique de Jean Houssaye :

  • le formateur,
  • la matière à enseigner
  • l’apprenant

Ce triangle définit trois interactions ou relations :

  1. didactique, entre formateur et contenu à enseigner
  2. pédagogique, entre le formateur et l’apprenant
  3. d’apprentissage, entre l’apprenant et la matière enseignée

Plus généralement, l’expression « faire preuve de pédagogie » signifie l’aptitude à enseigner et à transmettre à un individu ou un groupe d’individus — de tous âges et de toutes conditions — un savoir ou une expérience par l’usage des méthodes les plus adaptées à l’audience concernée.

Du point de vue de l’enseignant (ou du formateur), il faudrait plutôt parler de didactique.
La didactique est l’étude des questions posées par l’enseignement et l’acquisition des connaissances.
Elle s’applique à définir chaque objet (savoir), mais également à définir comment on enseigne cet objet aux apprenants.

D’où l’importance de savoir adapter la méthode d’enseignement au public concerné.
Et là, nous avons un double problème…

  • Il n’existe (presque) aucun point commun entre les différents publics que j’ai énumérés dans l’introduction à cet article.
  • Les formateurs (appelés « moniteurs ») moto français sont eux-mêmes formés à des méthodes pédagogiques qui visent à préparer des motards débutants à la validation des examens pratiques du permis de conduire moto A1 et A2, dans le cadre de cours individuels ou en petit groupe (de trois personnes maximum).

Conséquences logiques :

  • la plupart des moniteurs moto sont formés à une pédagogie magistrale tournée vers des élèves à la fois jeunes (entre 18 et 25 ans environ) et débutants, majoritairement masculins ;
  • la plupart des moniteurs moto ne sont pas formés à l’encadrement de groupes d’élèves, surtout si les effectifs dépassent deux ou trois personnes ;
  • la plupart des moniteurs moto ne sont pas formés à l’enseignement des formations qualifiantes sans examen pratique, à savoir le permis AM et l’équivalence 125 ;
  • la plupart des moniteurs moto ne sont pas formés à l’encadrement d’élèves très jeunes (14-18 ans) ou très âgés (plus de 60-65 ans), ni aux spécificités de profils psychologiques particuliers, que ce soit des troubles cognitifs (dyslexie, dyspraxie, TDAH), des psychotraumas, un manque de confiance ou d’estime de soi…
  • la plupart des moniteurs moto ne sont pas du tout formés à l’encadrement de formations de perfectionnement, quelles qu’elles soient (« passerelle » ou autre).

La vision majoritairement partagée dans la profession (où il n’existe actuellement, je le rappelle, aucune obligation réelle de formation continue, on pourra en reparler) est celle d’un enseignant qui transmet des savoirs-faire de façon magistrale, avec un apprentissage pratique fondé sur la répétition, parfois agrémenté de démonstrations lors desquelles l’élève est passif (qu’il soit assis derrière en passager ou spectateur plus ou moins lointain sur la piste).

Concrètement, dans la majorité des écoles de conduite moto, le formateur demande à ses élèves de répéter les parcours d’examen encore et encore, dès le début de la formation et tout au long de celle-ci, jusqu’à acquisition complète et automatisée des parcours.
La « pédagogie » se limite à la répétition des parcours, des dizaines de fois, des centaines de fois…

Le but reste la réussite aux examens, c’est-à-dire :

  • satisfaire aux critères bien spécifiques des parcours d’examen plateau, dans ce cadre bien particulier, sans nécessairement viser à l’acquisition des techniques de maîtrise de sa machine (la technique employée n’est pas évaluée, seul le résultat compte) ;
  • dans le cadre de l’épreuve en circulation, répondre aux attentes des inspecteurs du centre d’examen départemental, telles qu’elles sont définies officiellement dans le guide d’évaluation (lire L’examen du permis moto – La circulation) ou instaurées localement de façon officieuse, parfois en fonction des exigences / préférences / lubies d’un délégué départemental ou d’un inspecteur, mais dans tous les cas sur des parcours routiers connus et repérés à l’avance.

Il s’agit là d’un mélange de :

  • pédagogie traditionnelle, centrée sur les savoirs constitués à transmettre et sur le maître qui enseigne, pour la transmission par assimilation passive de contenus déjà structurés ;
  • pédagogie technologique, centrée sur l’élève en tant qu’apprenant et sur les moyens techniques d’acquérir des savoir / savoir-faire / savoir-être en temps voulu.
    En France, ce second type de pédagogie se traduit par une méthode bien particulière appelée pédagogie par objectifs.

La pédagogie par objectifs

En théorie, un formateur de conduite devrait employer la pédagogie par objectifs (PPO), avec une démarche qui articule objectif-méthode-évaluation-objectif dans une optique d’efficacité.
Dans les faits, la PPO est rarement mise en oeuvre, du moins pas de façon académique.

Je suis pour ma part devenu extrêmement dubitatif quant à la pertinence de la pédagogie par objectifs pour l’enseignement de la conduite moto.

Né aux États-Unis, initialement destiné à enseigner des gestes répétitifs simples dans des usines pour du travail à la chaîne, ce type de pédagogie repose avant tout sur la définition d’objectifs de formation quantifiables et observables.

Le but de ces objectifs est d’adapter l’apprenant aux besoins recherchés, et non pas de chercher à élever son niveau de conscience.
Ces objectifs « opérationnels », vérifiables par des comportements attendus, se veulent immédiatement évaluables sur des critères quantifiés. L’évaluation des résultats observables de l’apprenant y constitue le moyen de contrôle et de validation de la justesse des critères et moyens de la formation.

Mais la PPO présente deux risques importants dans le cadre d’une formation à la conduite qui vise avant tout le développement d’un savoir-être :

  • une perte de sens des apprentissages (du fait de leur morcellement) ;
  • un faible investissement intellectuel de l’apprenant dans un contexte trop balisé.

La PPO peut être utile dans l’enseignement des fondamentaux de la maîtrise mécanique d’un véhicule, mais je ne la trouve pas pertinente pour la formation à la conduite de sécurité.

Elle repose sur une vision technique, voire mécaniste, de la pratique moto, qui correspond exactement à la démarche de l’examen plateau français – avec les inconvénients que nous connaissons, à savoir la survalorisation de l’examen plateau au détriment de celui en circulation et une vision de la sécurité de conduite fondée sur la maîtrise technique au détriment du comportement.

Il faudrait que j’aille plus loin, mais ce sera dans un autre article car c’est un sujet à la fois vaste et pointu.

Le REMC et la matrice GDE

Consciente des lacunes de la PPO, la Direction de la Sécurité Routière et sa sous-direction à l’Education Routière ont décidé de transposer « à la française » les conclusions des travaux de scientifiques scandinaves qui définissent une approche comportementale de la conduite.

La matrice GDE

Cette approche est définie par une matrice appelée « GDE » pour « Goals for Drivers Education », élaborée dans les années 1990 et précisée en 1999 dans le rapport MERIT (Minimum European Requirements for driving Instructor Training), finalisé en 2005.

L’idée de base semble excellente.
Les universitaires ont compris qu’en matière d’enseignement de la conduite, il fallait envisager l’apprentissage de la conduite dans son ensemble – et pas simplement chercher à obtenir la maîtrise du véhicule.
Ils ont également compris que le bachotage de l’épreuve théorique ne permettait pas de faire face aux situations de conduite rencontrées.
Ils ont défini un modèle théorique de comportement lié à l’apprentissage de la conduite, fondé sur l’idée d’adapter la formation à chaque individu : homme, femme, jeune, moins jeune, expérimenté ou novice.
Tous les usagers de la route réagissent différemment, selon leur mode de vie, leur rythme de vie, leurs influences, etc.

En analysant ces critères psycho-socio-culturels, cette matrice GDE permet d’adapter l’apprentissage de la conduite à chacun, pour qu’il se sente plus concerné pour mieux appliquer les principes de sécurité sur les routes.
Elle propose un modèle théorique des comportements des conducteurs.
Celui-ci se décline en divers niveaux de connaissances, d’appropriation et de prise de conscience de leurs propres agissements.

Cette matrice GDE définit cinq niveaux hiérarchiques, sachant que les niveaux supérieurs influencent les niveaux inférieurs et que les deux niveaux inférieurs sont les plus simples à atteindre.

  • Le premier niveau « Maniement du véhicule » correspond aux compétences de base pour manipuler le véhicule.
  • Le second niveau « Maîtrise des situations de circulation » correspond aux connaissances des règles et leur application.
  • Le troisième niveau « Objectif de la conduite » inscrit la conduite dans un contexte sociétal.
  • Le quatrième « Projet de vie » intègre le déplacement dans le cadre de vie professionnel et personnel, les capacités de maîtrise de soi.
  • Le cinquième et dernier niveau « Pressions sociétales« , plus globalement économiques et politiques, concerne l’environnement social et relationnel qui peuvent affecter la conduite.

Ces niveaux de comportements de conducteur sont associés à trois niveaux de compétences :

  1. Connaissances et capacités (pour maîtriser le véhicule) ;
  2. Facteurs d’accroissement du risque (pour identifier et contrôler les risques) ;
  3. Auto-évaluation (conscience de ses propres compétences et limites, de ses comportements, etc.).

On ne parle donc plus d’objectifs, mais de compétences.
Une compétence, telle que définie par Guy Le Boterf (créateur de l’approche par compétences) est une notion plus complète, plus globale qu’un objectif, tel que vu par la PPO.

Sur le papier, c’est très bien…
Dans la vraie vie, c’est inapplicable !
Surtout en seulement 20-30 heures de leçons, avec la pression financière qui va avec.

D’ailleurs, l’examen du permis de conduire lui-même, avec ses différentes épreuves théoriques et pratiques, ne permet d’évaluer que les deux premiers niveaux.

Le REMC

Depuis 2014, cette matrice est en théorie intégré à la formation des conducteurs français.
Mais en théorie seulement.

Le moniteur de conduite est censé se servir du référentiel pour l’éducation à une mobilité citoyenne (REMC).
Le REMC est inspiré de la matrice GDE, mais adapté à une vision française.
Il liste les compétences à acquérir, ce qui n’est pas le cas de la GDE.

Il présente de façon structurée et hiérarchisée les compétences nécessaires à la conduite en sécurité :

  • savoir-faire et connaissances techniques : conduire, maîtriser le véhicule, connaître le code, etc. ;
  • compétences comportementales : comprendre l’environnement et les risques, appliquer les règles, s’adapter ;
  • compétences réflexives : connaître son propre comportement d’automobiliste, le comprendre, mesurer le risque pour soi et les autres, s’adapter.

Ce référentiel s’articule autour de quatre grandes notions qui sont considérées comme acquises lorsque les compétences associées sont maîtrisées par l’élève :

  • L’usager
    Il s’agit de la capacité de l’usager à assumer ses responsabilités, qu’elles soient citoyennes, juridiques ou sociales.
  • Le déplacement
    Il s’agit de la capacité du conducteur à utiliser un véhicule à moteur de façon autonome et sans représenter de danger pour les autres usagers de la route.
  • Devenir un conducteur compétent
    Il s’agit de la capacité du conducteur à prendre en compte les facteurs extérieurs pouvant représenter un danger lorsqu’il est installé au volant de son véhicule. Il doit également être capable de prendre les bonnes décisions pour y faire face et de mettre en place des procédures préventives pour éviter ces dangers.
  • La gestion de l’environnement
    Il s’agit de la capacité du conducteur à avoir une maîtrise totale du véhicule et de son environnement, mais également à anticiper ses trajets. Le conducteur doit pouvoir circuler dans des situations simples ou complexes et de manière autonome.

L’idée du REMC est que l’élève conducteur n’est plus seulement « en formation », mais qu’il reçoit une véritable éducation, dans le sens où il serait amené à mieux connaître le monde dans lequel il évolue, ainsi que lui-même.
C’est joli, ça sonne bien, mais… cela suppose une éducation de l’usager de la route tout au long de sa vie, de l’âge de la maternelle jusqu’au post-permis.
Ce que nous appelons en France le « continuum éducatif ».

Le continuum éducatif

Le « continuum éducatif », c’est l’idée que l’éducation à la sécurité routière ne se fait pas seulement lors du passage du permis de conduire, mais tout au long de la vie.
Ses trois principes :

  • L’éducation à la sécurité routière concerne l’ensemble des usagers de la route (pas seulement les conducteurs), du plus jeune âge jusqu’à la fin de la vie.
  • L’éducation à la conduite et à la sécurité routière s’inscrit dans un processus progressif et continu.
    En famille, à l’école, au moment du passage de l’examen du permis de conduire et après son obtention, pendant la vie active et au-delà.
  • L’éducation à la route et à la sécurité routière doit, à tous les niveaux de la formation, prendre en compte les aspects comportementaux de l’individu.

En France, le continuum éducatif est censé se réaliser en trois étapes : 

  • Les attestations scolaires de sécurité routière
  • Le permis de conduire
  • Les formations post-permis

Parfait, entièrement d’accord !
Sauf que plus de dix ans après la mise en place du REMC, nous en restons encore très très loin…

Le système français reste focalisé sur le permis de conduire.
Très peu d’actions sont réellement menées avant et après.

En théorie, les enfants de 3 à 7 ans peuvent bénéficier dès l’école maternelle d’une première formation à la sécurité routière – qui n’est presque jamais effective car c’est laissé au bon vouloir des directeurs d’établissements scolaires et des équipes enseignantes qui sont déjà débordées par les programmes scolaires obligatoires, qui manquent de moyens humains et matériels, qui ne sont pas formées à l’enseignement de cette matière.

En théorie, à l’école primaire, les enfants devraient valider une Attestation de Première Education à la Route (APER).
Sauf que pour le moment en France, l’obtention de l’APER n’est pas obligatoire. Son existence est soumise au projet pédagogique du chef d’établissement.
Pour les raisons que j’ai déjà citées, c’est laissé de côté dans la quasi-totalité des écoles.

Dès la 5e (14 ans), les élèves passent l’Attestation Scolaire à la Sécurité Routière de premier niveau (ASSR1). Ensuite, en 3e (dès 16 ans), les élèves passent l’Attestation Scolaire à la Sécurité Routière de second niveau (ASSR2).
Dans les deux cas, il s’agit d’un test de 20 questions et l’élève doit obtenir au moins 10 bonnes réponses.
Là encore, l’enseignement de la matière est laissé au bon vouloir des enseignants de l’Education Nationale, puisque ces derniers refusent que des professionnels extérieurs viennent enseigner dans leurs établissements.
La réalité varie grandement selon les collèges, mais globalement, c’est une vaste blague !

Au lycée, là où ce serait le plus important, le plus utile, dans les années où se forge le comportement des futurs conducteurs… rien ! Ou presque rien : les lycéens peuvent suivre une demi-journée de sensibilisation à la sécurité routière.
Ce n’est même pas obligatoire et il s’agit de trois heures sur trois ans de lycée.
Tu parles que c’est efficace…

Le post-permis

Quant aux actions post-permis, elles restent minimes.

Depuis 2019, les titulaires d’un premier permis de conduire peuvent suivre un stage « post permis » dans les écoles de conduite labellisées « École conduite qualité » qui souhaitent participer au dispositif.

Les conducteurs volontaires pourront accéder plus rapidement au capital de 12 points sur leur permis : en 2 ans au lieu de 3 pour les formations traditionnelles, en 18 mois au lieu de 2 ans pour ceux ayant bénéficié de la conduite accompagnée – sous réserve qu’ils n’ont pas été condamnés pour une infraction ayant retiré des points sur leur permis de conduire.

La formation est collective (six à douze élèves par stage) afin de permettre un maximum d’échanges sur les expériences de conduite entre les conducteurs d’une même génération.
Sa durée est limitée à une seule journée (7 heures).

Un enseignant de la conduite spécialement formé est responsable de l’animation de chacune de ces journées, pendant toute la durée de la formation.

Je résume :

  • cette formation complémentaire s’adresse exclusivement aux titulaires d’un premier permis de conduire (A1, A2, B1 ou B)
  • elle doit être effectuée entre les 6e et 12e mois qui suivent l’obtention du permis (ni avant, ni après)
  • elle n’est pas obligatoire
  • elle n’est possible que dans une école de conduite labellisée
  • elle n’est possible que si cette école veut bien mener ce type d’actions, autrement dit si c’est rentable
  • elle n’est possible que si cette école dispose d’un moniteur formé pour encadrer ce type d’actions de formation collective, ce qui suppose d’avoir suivi trois à cinq jours de cours non obligatoires, aux frais du moniteur et/ou de son employeur

Concrètement ? Personne ne le fait.
Non obligatoire = pas de demande des élèves = pas d’intérêt à envoyer un moniteur en formation.
Donc pas d’offre de formations post-permis.

Pour information, cette formation collective post-permis est obligatoire en Suisse au cours de la première année après l’obtention d’un premier permis de conduire depuis… 2005 !
Elle a d’abord été d’une durée de deux jours, puis les résultats se sont avérés tellement positifs que le gouvernement a jugé en 2020 qu’une seule journée serait suffisante.

Source : https://2-phases.ch/

Concernant spécifiquement le permis moto, il y a un vague début d’amorce de frémissement avec la mise en place depuis 2015 de la formation dite « complémentaire », communément appelée « passerelle ».
Pour en savoir plus, lire La formation complémentaire pour passer de A2 en A.

Cette journée de formation n’est pas obligatoire en tant que telle. Mais dans la mesure où elle est obligatoire pour obtenir le permis A, elle est suivie par l’immense majorité des titulaires d’un permis A2 français.
Elle peut être encadrée par tout formateur moto professionnel dans le cadre d’une école de conduite agréée – sans plus d’obligation.

Son problème principal est qu’en dépit d’un programme officiel de formation, le contenu concret de la formation est laissé à l’appréciation du formateur, sans contrôle, sans validation par un expert indépendant, sans même d’ailleurs que le formateur ait lui-même eu à suivre une formation spécifique pour encadrer cette passerelle.
On peut se demander pourquoi, alors que c’est pourtant le cas pour les autres permis.

Conclusion

Nous avons donc :

  • des générations de formateurs qui ont été biberonnées à la PPO, puis la dernière génération qui ne jure que par le REMC, les deux approches étant diamétralement opposées.
  • un continuum éducatif qui n’existe que dans les textes, mais pas du tout dans la réalité
  • une formation complémentaire post-permis pour le premier permis facultative, qui n’existe quasiment pas car non rentable
  • une formation « passerelle » pour la catégorie A qui laisse la place à toutes les interprétations, les abus, les dérives

Dans tout ce bazar, comment s’y retrouver ?
Que faire quand on veut bien faire son travail de formateur moto ?

Publics et attentes

Etymologiquement, la pédagogie signifie (en grec) « éducation des enfants« .
Dans l’Antiquité, le pédagogue était un esclave qui accompagnait l’enfant à l’école, portait ses affaires, mais aussi lui faisait réciter ses leçons et faire ses devoirs.
La pédagogie, au sens très large du terme, rassemble les méthodes et pratiques d’enseignement requises pour transmettre un savoir, un savoir-faire et/ou un savoir-être.

Pour ma part, je suis partisan de l’approche différenciée, avec utilisation pour certains publics des principaes de l’andragogie.

L’approche différenciée

L’enseignement ne se résume pas à une seule méthode. Des personnes différentes vont comprendre un même enseignement de différentes façons. Il faut pouvoir traiter une notion selon des axes différents. C’est ce que propose l’approche différenciée.

Une notion, quel que soit le sujet, a toujours plusieurs composantes. Selon les capacités de l’apprenant, l’enseignant peut s’adapter en traitant la notion en commençant par une composante différente de ce qu’il a pu faire avec un autre apprenant.

L’avantage de cette méthode de formation est qu’elle individualise l’enseignement, ce qui permet à l’apprenant de progresser plus facilement et d’être plus investi dans son apprentissage.
L’approche différenciée permet de bénéficier d’une meilleure expérience en matière d’enseignement et un meilleur taux de rétention des apprentissages à court et long termes.

Pour conduire en sécurité, il faut d’une part connaître et appliquer les règles dictées par le Code de la route, mais d’autre part avoir conscience des risques liés à la conduite afin d’adapter son comportement pour réduire ces risques.
Pour en savoir plus, lire Ce que « anticiper » veut dire (en conduite moto)

En comprenant pourquoi ces règles ont été mises en place, il est plus facile de les assimiler rapidement pour mieux les appliquer par la suite. Un conducteur sensibilisé aux risques routiers aura une conduite plus sûre à court terme comme à long terme qu’un usager qui ne comprend pas les risques liés à la conduite. Le fait qu’un apprenti conducteur comprenne et connaisse les risques liés à la conduite permet d’avoir un niveau de conduite supérieur à celui demandé à l’examen du permis de conduire. 

L’inconvénient de cette approche de la formation (excellente sur le papier) est qu’elle suppose et impose :

  • des cours individuels, forcément – donc une formation coûteuse ;
  • un formateur très qualifié, à l’écoute, patient, capable de mettre en oeuvre différentes approches en fonction des élèves ;
  • un élève motivé, déterminé à aller au-delà des attentes basiques de l’examen, disposé à payer plus cher pour une formation de qualité.

On le voit, ce n’est pas accessible à tout le monde, ni possible pour les différents genres de formations que nous pouvons être amenés à dispenser.

Mais l’approche différenciée s’avère pertinente pour une partie de notre public : les motards et futurs motards adultes, et surtout ceux en formation post-permis (quelle que soit cette dernière).

L’andragogie

L’andragogie, par opposition à la pédagogie qui est beaucoup plus centrée sur l’éducation aux enfants et jeunes adultes, est une science de l’éducation des adultes.
Le mot lui-même a été créé en Allemagne au milieu du 19e siècle. Ses concepts ont été développés aux Etats-Unis dans les années 1950-1960 par la référence du domaine, Malcolm Knowles. Ils ont commencé à être utilisés en Europe à partir des années 1990.

Le terme « andragogie » est formé à partir de deux mots du grec ancien qui signifient « l’homme » (dans le sens d’humain mâle) et  « le guide ». On désigne par « andragogie » l’ensemble de techniques susceptibles d’amener à la connaissance par l’éducation permanente et la formation continue des adultes.

Pour bien faire la différence dans les termes, enseigner n’est pas la même chose que former :

  • on enseigne à partir d’un programme, avec un contenu standardisé, en visant l’acquisition de savoir ou de savoir-faire par l’assimilation de connaissances et avec une certaine hiérarchisation dans la classe (enseignant et élèves)
  • on forme à partir d’un besoin, avec du contenu individualisé selon le groupe et les expériences de chacun, puis en misant sur l’acquisition de compétences applicables dans des situations réelles.

Pour schématiser, un enseignant transmet un savoir, tandis que le formateur aide les apprenants à acquérir une compétence, comme le ferait un « coach ».
L’andragogie impose à tout formateur pour adultes de faire en sorte que chaque participant soit acteur de son apprentissage.

Ses principes

La théorie de Knowles peut être appréhendée à travers six affirmations liées à la motivation des adultes en situation d’apprentissage :

  1. Besoin
    Les adultes ont besoin de connaître le pourquoi d’un apprentissage
  2. Particularité
    L’expérience (donc la prise en compte de l’erreur) est la base de toute activité d’apprentissage pour les adultes
  3. Investissement
    Les adultes doivent être impliqués dans les décisions liées au dispositif d’éducation (organisation, modalités d’évaluation)
  4. Utilité
    Les adultes préfèrent apprendre ce qui leur servira à court terme dans leur travail ou leur vie privée
  5. Modalité d’apprentissage
    L’apprentissage par situation-problème est plus adapté pour les adultes que la simple transmission de connaissances
  6. Motivation
    Les adultes réagissent mieux à une motivation intrinsèque qu’à des exhortations externes

Quelques grands principes de l’andragogie :

  1. L’apprenant adulte doit être impliqué dans son apprentissage
    La formation doit impliquer l’apprenant adulte. En andragogie, l’adulte doit participer dans la planification et l’évaluation de ses apprentissages. Le formateur doit impliquer l’apprenant, lui demander quels sont ses objectifs, pourquoi il suit la formation, ce qu’il attend de cette dernière, etc.
  2. L’expérience propre de chaque apprenant adulte doit être prise en considération
    Chaque apprenant adulte détient sa propre expérience : les échanges deviennent motivants parce qu’ils proviennent de contextes réels auxquels l’apprenant peut associer ses nouveaux apprentissages. Ces échanges permettent la validation de situations réelles qu’ils n’ont peut-être pas eu la chance (ou la malchance) de vivre. L’expérience personnelle de chaque apprenant doit être prise en compte dans les activités d’apprentissage, car ce bagage constitue une ressource importante pour leur formation.
  3. Les apprentissages doivent être reliés à des contextes réels de leur vie ou de leur emploi
    Les apprenants adultes ont besoin de concret. Ils veulent savoir pourquoi cette formation est importante et quelles en sont les applications réelles. Ils ont besoin d’être convaincus. Les apprentissages doivent être en lien avec des situations réelles. Pour ces apprenants, le terrain est le lieu de la compréhension.
  4. Miser sur la mise en pratique de résolution de problèmes
    La rétention d’informations est plus importante chez l’apprenant adulte lorsque celui-ci est mis en action avec des activités pratiques, immédiatement après avoir acquis de nouvelles connaissances. Les apprentissages doivent être reliés à des applications immédiates par des méthodes actives.

On comprend facilement l’intérêt d’une approche andragogique pour la formation collective à la conduite moto, tout spécialement dans le cadre d’un perfectionnement post-permis.

Mes conclusions

Bien former nos élèves motards demande du travail.
Cela demande de se remettre en question, de remettre en question ce que nos formateurs considèrent parfois eux-mêmes comme des évidences.
Cela demande de préparer ses cours, leur contenu comme la façon de s’adresser aux groupes d’apprenants et à chacun de leurs participants.
Cela demande du temps car il faut prendre le temps de connaître l’histoire de chacun et de comprendre ses motivations, ses aspirations.
Cela demande de savoir se replacer au centre des échanges, mais pas au-dessus, de devenir un animateur autant qu’un formateur, de favoriser une participation active des apprenants.

C’est compliqué quand on vient du « moule » bien normatif de l’Education nationale française.
En tant que que fils et petit-fils d’enseignants français, je sais de quoi je parle. En tant que pur produit du système scolaire français, ancien élève de classe prépa et d’une grande école, je connais bien ce système, ses qualités et ses défauts.
Comme formateur de conduite, j’ai été formé à la PPO et j’ai moi-même été formateur de moniteurs avec cette méthode – tout en précisant toujours à mes élèves que c’était surtout pour l’examen et qu’ils ne s’en serviraient plus ensuite dans l’exercice de leur métier.

Mais aujourd’hui, avec mes 15 ans d’expérience dans ce métier, je suis convaincu par la pertinence de l’approche différenciée et l’utilisation de l’andragogie pour la formation des adultes en général, et tout particulièrement dans le cadre des formations post-permis, notamment moto.

C’est d’autant plus efficace que nous oeuvrons dans le domaine de la moto :

  • avec des conducteurs passionnés,
  • avec des motards qui se sentent intimement concernés et prêts à s’engager
  • où il est facile de susciter de la motivation interne
  • où il est simple de prendre en compte l’expérience acquise
  • où nous pouvons appliquer nos enseignements à des situations réelles déjà vécues, directement ou par d’autres
  • où nous pouvons donner aux motards les moyens dans leur pratique de mesurer les bénéfices de la formation

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.