L’immense majorité des formateurs de conduite moto exerce son activité professionnelle… en voiture. Pourquoi ? Est-il possible de faire autrement ? Personnellement, je suis convaincu qu’un moniteur moto doit rouler à moto. Mais je sais aussi que ce n’est pas toujours réalisable.

Première publication en octobre 2024

Introduction

L’idée de cet article m’est venu il y a quelques mois de cela, à l’occasion d’une discussion en ligne, quand une personne a écrit qu’elle ne savait même pas qu’il était autorisé pour un moniteur moto de rouler autrement qu’en voiture. Je me suis dit qu’il était probable qu’elle ne soit pas la seule à penser ça et que (peut-être) même certains moniteurs le croient aussi.
Et que certains fondamentaux pourraient être utiles à rappeler.

Pour réfléchir sur ce sujet, je m’appuie avant tout sur mon expérience personnelle de formateur moto professionnel depuis 2008 dans plusieurs régions françaises, différents environnements et dans des conditions variées.
Je vais résumer au mieux.

J’ai passé mon permis moto en 2000 à l’école Zebra, sur le circuit Carole de Tremblay-en-France (93), donc avec les pistes d’entraînement (et un circuit qui nous servait pour l’échauffement du matin) sur place.
Huit ans plus tard, j’ai suivi ma formation de moniteur moto à l’école Collot d’Ennery, près de Pontoise (95), avec le plateau d’entraînement à moins de dix minutes de route de campagne.
Premier poste comme moniteur stagiaire chez Monneret à Meudon (92), avec la piste privée sur place.
Ensuite, moniteur auto-moto à Conflans-Sainte-Honorine (78), avec une piste moto d’abord sur une route (plus ou moins) désaffectée à 5 minutes, puis sur un parking (partagé avec une autre école) à 10 minutes.
En 2011, adios la région parisienne ! J’arrive à Bordeaux et travaille dans une école 100% moto à côté du circuit de Mérignac, en banlieue de Bordeaux. Là encore, pistes privées sur place et circuit à disposition.
En 2012, je passe en indépendant et travaille pour une petite école au Teich, sur le Bassin d’Arcachon, avec une petite piste moto sur place (qui était en fait un bout de parking peu fréquenté).
Puis dans une nouvelle école 100% moto qui faisait ses débuts à Mérignac, avec une immense piste privée sur place.
Pendant dix ans, j’encadre principalement des cours de perfectionnement, où je suis tout le temps à moto et apprends à communiquer avec mes élèves à moto.
En 2022, départ pour la Haute-Savoie. D’abord dans une école 100% moto avec piste privée à 10 minute de route (20-25 minutes aux heures de pointe). Puis une autre avec la piste privée et exclusive à moins de 5 minutes et jamais de bouchons.

Sur ces différents postes en école de conduite, il n’y a que dans les deux derniers que j’ai pu véritablement enseigner à moto tout le temps, sur ma demande et avec l’accord de mes employeurs, que ce soit pour accompagner les élèves au plateau, animer les cours en circulation et accompagner aux examens plateau.
Il n’y a que pour les examens en circulation que j’étais obligé d’utiliser une voiture.

Il est possible d’enseigner à moto.
C’est contraignant, parfois compliqué, mais ça reste possible.

Cadre réglementaire et économique

Cadre réglementaire

En France (comme dans la plupart des autres pays européens, francophones ou non), le métier de formateur de conduite est une profession dite « réglementée », c’est-à-dire encadrée par les pouvoirs publics.
L’exercice de la profession d’enseignant de la conduite et de la sécurité routière est subordonné à la délivrance par le préfet d’une autorisation d’enseigner. En outre, l’enseignement (à titre onéreux) de la conduite en formation initiale ne peut être organisé que dans le cadre d’un établissement agréé par la préfecture, cet agrément impliquant le respect d’un certain nombre d’obligations.

Pour exercer cette profession, il faut être titulaire d’un diplôme professionnel dont toutes les conditions sont fixées par la loi : programme de formation, durée, modalités d’examen, etc.
Ce diplôme (que ce soit le Bepecaser ou le TP ECSR) est avant tout destiné à former des moniteurs voiture. A la base, nous sommes tous des formateurs de conduite pour la catégorie de permis de conduire B.

Devenir ensuite moniteur moto (catégorie A) et/ou poids lourds (catégories C et D) reste une option, un complément de formation facultatif qui se fait après le « tronc commun » – à condition évidemment de détenir le permis de conduire adéquat.

Cadre économique

En France, la grande majorité des écoles de conduite est constituée de petites entreprises, comprenant entre un et trois moniteurs, dont un(e) seul(e) s’occupe de la moto, rarement à temps complet.
Quand j’ai débuté dans le métier au sein d’une école de conduite « familiale » de quartier, j’enseignais principalement en voiture, surtout en hiver. La moto n’était qu’une activité secondaire, complémentaire. Au mieux, en plein été, c’était 50% de mon activité.
Un grand nombre de moniteurs moto sont dans ce cas.

Les écoles de conduite entièrement dévolues à l’enseignement « deux-roues moteur » (catégories A2, A1, A et AM), ne peuvent exister qu’à condition d’une demande suffisante, donc dans les grandes villes (ou à proximité immédiate).
Ces écoles « 100% moto » forment un grand nombre d’élèves moto en valeur absolue (plusieurs centaines par an), mais ne représentent qu’une toute partie des établissements d’enseignement de la conduite et donc des moniteurs moto.

Dans la même logique, la très grande majorité des écoles de conduite moto ne possèdent pas de piste d’entraînement privée, encore moins exclusive.
Leurs moniteurs moto exercent soit sur un espace public qui leur est prêté / loué (souvent un parking ou une route désaffectée), soit sur une piste partagée entre plusieurs écoles.
Seules les écoles disposant d’un nombre suffisant d’élèves (dans les grandes lignes, à partir de 200 à 300 élèves moto chaque année) peuvent se permettre d’investir dans une piste privée (dont elles sont propriétaires ou locataires).
De même, seules les écoles 100% moto disposent d’une piste privée « sur place », à la sortie du garage, pour laquelle il n’est pas besoin d’effectuer un trajet sur la voie publique. Il existe des exceptions, j’en ai connu, mais cela reste très rare.

Ces conditions réglementaires et économiques expliquent en grande partie pourquoi 95% des moniteurs moto utilisent une voiture au quotidien dans leur activité professionnelle.
Mais ce n’est pas tout…

Les raisons de rouler en voiture

Première raison majeure : la plupart des moniteurs moto donnent aussi (et surtout) des cours auto.
Par facilité, par confort, par gain de temps, ils restent tout le temps en voiture. Pas besoin de s’équiper moto (et de se déséquiper en fin de cours), ni de stationner la bagnole, pas de changement de véhicule… ça prend moins de temps et demande moins d’efforts.
Seuls les moniteurs qui n’enseignent que la moto ou ceux qui sont vraiment très motivés (et disposent des facilités matérielles pour stationner leur voiture de fonction et se changer à l’abri des intempéries) prennent une moto sur la route – et encore.

Deuxième raison majeure : souvent, les moniteurs moto doivent transporter le matériel pour le plateau.
Quand vous devez chaque fois amener au plateau 22 plots de 20 cm de haut et quatre piquets métalliques de 1,20 m de haut avec leur support de 30 x 30 cm, forcément… c’est difficile à loger sur une moto !
La contrainte de ne pas pouvoir laisser son matériel pédagogique sur place parce que la piste ne vous appartient pas ou qu’elle est partagée ou qu’elle reste en accès libre, sans rangement sécurisé, fait que la plupart des moniteurs sont obligés d’y aller en voiture.
Pour pouvoir accompagner les élèves plateau à moto, il est nécessaire de disposer soit d’une piste privée et fermée (sur laquelle on va pouvoir laisser en permanence le matériel), soit d’un coffre solide et verrouillable pour y ranger le matériel en fin de journée.

Troisième raison majeure : c’est plus dur pour communiquer.
La réglementation française impose aux moniteurs moto de rester en liaison radio avec leurs élèves en permanence. Cette communication se fait par des radios portatives, avec un écouteur pour les élèves et un micro pour le moniteur.

L’arrêté du 8 janvier 2001 « relatif à l’exploitation des établissements d’enseignement, à titre onéreux, de la conduite des véhicules à moteur et de la sécurité routière » prévoit que :

« Pour l’enseignement de la conduite en circulation sur cyclomoteurs, motocyclettes, tricycles à moteur dont la puissance n’excède pas 15 kilowatts et dont le poids à vide n’excède pas 550 kilogrammes et quadricycles légers et lourds à moteur, un dispositif de type homologué permettant une liaison permanente (radio) est obligatoire entre l’enseignant et chaque élève, lorsque l’enseignant n’est pas à bord du véhicule. »

Evidemment, il est bien plus simple d’utiliser un talkie d’une main en conduisant une voiture – surtout s’il s’agit d’une boîte automatique.
Utiliser la radio à moto implique :

  • soit de disposer d’un laryngophone (à l’efficacité discutable),
  • soit de savoir conduire la moto d’une seule main,
  • soit de rouler avec une moto à boîte automatique ou un embrayage DCT,
  • soit d’être équipé d’un intercom relié au talkie, sans fil (Bluetooth) ou avec connexion filaire.

Une autre solution est d’équiper les élèves avec des casques dotés d’intercom, mais cela suppose de prévoir un stock de casques de différentes tailles, sans parler des problèmes d’hygiène.

L’emploi du talkie à la main est compliqué sur des motos dénuées de protection contre le vent : à partir de 90-100 km/h, il y a tellement de souffle que les élèves ne comprennent plus ce qu’on dit. Il faut prévoir de donner les instructions avant ou se coucher sur la moto pour se mettre à l’abri.

C’est quasi impossible avec un casque intégral (le micro est trop loin de la bouche), il faut rouler avec un modulable ou un jet. Avec un modulable, ça marche bien… tant qu’il ne pleut pas ! Sinon, il faut relever la mentonnière pour parler et on se fait tremper en quelques secondes.

Bref, c’est contraignant. La plupart des moniteurs préfèrent rester en voiture.

Autre raison parfois invoquée : par sécurité.
J’entends parfois des confrères expliquer qu’ils préfèrent rester en voiture derrière les élèves pour les « couvrir », les protéger des autres véhicules qui pourraienr venir s’intercaler au sein du groupe. Pour moi, ça tient de la mauvaise foi : à moto, je me place sur la gauche de la voie de circulation et ferme le groupe. De plus, être à moto permet de démarrer plus facilement aux carrefours, plus rapidement, afin d’éviter justement que d’autres véhicules passent devant moi. Et quand bien même c’est le cas, il est bien plus facile de dépasser et de me replacer derrière mes élèves qu’avec une voiture.
Autre argument : en cas d’accident, il serait plus sûr ou plus simple de ramener l’élève dans une voiture. Sauf que non ! Soit l’élève accidenté n’est pas blessé et il peut ramener la moto par lui-même. Soit il est touché et comme un moniteur n’est pas médecin, il ne doit pas prendre le risque d’emmener le blessé dans sa voiture. Il faut appeler les secours et laisser un professionnel établir un diagnostic.

Autre motif réel, mais rarement admis : par confort.
Déjà, il faut savoir qu’une bonne part des moniteurs moto ne possède pas de moto et/ou ne roule pas à moto en dehors des cours – pour de multiples raisons diverses et variées qui leur appartiennent.
Ensuite, même quand ils sont motards en dehors du boulot, une bonne partie préfère rester en voiture pour les cours moto. C’est moins fatigant, on est à l’abri de la pluie, il y a le chauffage et la climatisation, la radio… Et surtout (hélas), on peut utiliser son téléphone !
Bien sûr, c’est interdit. Mais quand on voit le nombre de moniteurs / monitrices auto qui sont CONSTAMMENT sur leur téléphone tenu en main pendant les leçons de conduite, alors que c’est là aussi interdit (puisque nous sommes considérés légalement comme conducteur responsable), on sait bien que beaucoup de moniteurs moto profitent des trajets sur route pour passer des coups de fil et envoyer des messages… y compris parfois à caractère professionnel, si si !

Autre motif réel, mais jamais admis : par recherche du profit.
Ce n’est pas une pratique généralisée, mais certaines écoles pratiquent ce qui est gentiment appelé « l’écoute pédagogique ». En termes concrets, faire payer à chaque élève une heure de conduite alors qu’il va réellement en conduire peut-être la moitié et le reste du temps regarder les autres élèves.
Evidemment, cela rapporte bien plus de mettre trois élèves sur trois motos et d’en emmener deux ou trois autres dans la voiture qui vont tous payer le cours entier.
Et cela ne peut se faire qu’en voiture…
J’ai même connu une école qui emmenait 4-5 élèves moto en minibus pour les cours en circulation. Super pratique pour suivre les motos !

Les raisons pour rouler à moto

Au final, on en arrive à se demander pourquoi un moniteur moto pourrait bien vouloir circuler avec ses élèves… à moto !

Primo, pour l’exemplarité
C’est plus ou moins conscient, mais quel crédit peut apporter un élève aux conseils d’un formateur de conduite s’il ne le voit pas conduire ?
Rouler avec les élèves, dans les mêmes conditions, subir les mêmes intempéries, développe également le sentiment de cohésion entre motards.
Plus concrètement, rouler à moto permet de facilement passer devant pour montrer le bon exemple, en matière de trajectoires en virage par exemple. Ou pour ce qui concerne l’équipement de protection, tout simplement. Encore faut-il être exemplaire sur ces points…

Secundo, pour le côté pratique
A moto avec mes élèves, je bouge plus facilement. Je reste au contact. Je peux me rapprocher plus près d’eux pour les observer et les corriger. Je peux passer devant ou derrière le groupe. Il est plus facile de s’arrêter sans gêner, de repartir, de dépasser d’autres véhicules, de ne pas rester bloqué derrière un camion, un tracteur ou un bus à l’arrêt… Je suis toujours proche d’eux, ils n’ont pas à m’attendre : moins de perte de temps de cours.

Tertio, pour la circulation inter-files
Comment voulez-vous enseigner la circulation inter-files en voiture ? Entraîner correctement nos élèves à cette pratique impose évidemment de rouler nous-mêmes à moto.
Pour en savoir plus : Le point sur : la circulation inter-files

Quarto, pour l’environnement
Certes, cela dépend des machines et de la façon de rouler… Mais globalement, une moto consomme et pollue moins qu’une voiture. En tout cas, une Yamaha MT-03 consomme moins qu’une Renault Clio 5… Quel sens y a-t-il à prendre une voiture qui pèse 1,5 tonne pour transporter une seule personne, surtout pour suivre des motards à qui on demande de rouler « dynamique » ?

Conclusion

Il n’est pas obligatoire, impératif, juridiquement nécessaire, pour un moniteur moto d’utiliser une voiture ou une moto pendant ses cours de conduite. Chacun fait ce qu’il veut.
Et justement, le choix de rouler à moto en leçon (tout ou partie du temps) relève du choix de chacun : c’est surtout une question de volonté, de motivation. C’est un choix qui implique des contraintes, c’est certain.
A chacun de peser le pour et le contre, en accord avec son employeur.

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