Saviez-vous qu’il est possible sur une moto de passer les rapports sans débrayer ? Est-il utile de changer de rapport de boîte ainsi, ce qu’on appelle « à la volée » ? Est-ce compliqué, souhaitable, indispensable ou au contraire à éviter, que ce soit en termes de conduite et de mécanique ? Explications et conseils.

Publication en novembre 2024

Cet article ne concerne que les motos avec boîte de vitesses manuelle et embrayage manuel.
Ne sont donc pas concernées les machines équipées :

  • d’un variateur (scooters)
  • d’une boîte de vitesses automatique sans embrayage (Yamaha FJR AS, Aprilia Mana)
  • d’un double embrayage robotisé (Honda avec DCT)
  • d’un « shifter »

Préambule

La plupart des motards sont aussi (et surtout) automobilistes.
Par ailleurs, un grand nombre de motards n’y connaissent pas grand-chose en mécanique. Avec les motos « modernes » sur lesquelles il est difficile d’intervenir sans avoir la « valise » (l’ordinateur qui se branche sur prise OBD « on board diagnostics » et permet de lire ou modifier les paramètres électroniques, notamment de l’ECU « engine computer unit« ), c’est devenu comme avec les voitures : au moindre problème, c’est le remorquage vers un garage pro…

Ils n’y connaissent pas grand-chose d’abord parce que cela ne les intéresse pas.
Et aussi parce qu’on ne leur enseigne pas, puisque beaucoup de moniteurs moto n’en savent pas beaucoup plus et que, par dessus le marché, plus aucune vérification mécanique n’est exigée lors des examens pratiques de conduite depuis 2020.

Déjà que peu de motards savent que l’embrayage d’une moto diffère de celui d’une voiture, c’est encore pire concernant la boîte de vitesses…
Pourtant, c’est utile (voire important) de connaître un minimum les spécificités d’une boîte de vitesses moto car c’est ce qui fonde cette technique de conduite appelé « changement de rapports à la volée ».

Sans trop entrer dans les détails techniques, nous allons d’abord voir quelques pré-requis mécaniques, puis passer aux aspects pratiques de cette technique.

Fondamentaux mécaniques

Tout d’abord, à quoi sert une boîte de vitesses (à partir d’ici, j’utiliserai le sigle BV) ?
A soulager les efforts demandés au moteur pour entraîner la/les roue(s) motrice(s) à telle ou telle vitesse.

Comment ? En modifiant le rapport de transmission / démultiplication, exactement comme avec les plateaux et pignons d’un vélo : on passe ainsi d’une vitesse de rotation du moteur, limitée dans sa plage de régimes, à une plus grande plage de vitesse de rotation des roues.

Voilà, ça c’est le principe général.
Mécaniquement parlant, ce qu’on appelle la chaîne cinématique (qui transmet le mouvement) reste toujours la même, quel que soit le véhicule : le mouvement, généré par le moteur, est d’abord transmis à l’arbre primaire de transmission (le vilebrequin), relié à l’embrayage. De l’autre côté de l’embrayage, la BV dont les différents rapports de boîte sont des pignons, fixés sur l’arbre secondaire de transmission, qui entraîne les roues motrices.

A l’intérieur de la BV, on met ces pignons de boîte en contact avec les pignons fixés à l’arbre primaire pour engager un rapport. Le rapport entre le nombre de dents du pignon fixé sur l’arbre primaire et le nombre de dents du pignon fixé sur l’arbre secondaire donne le rapport de réduction ou de démultiplication.

Jusque là, c’est pareil sur une voiture ou sur une moto.
Mais ces deux types de véhicules font appel à deux types différents de BV.

Sur les voitures de tourisme, une BV mécanique est dite « synchronisée ».
Les BV synchronisées sont devenues la norme en automobile. Elles sont plus complexes, plus lourdes, mais beaucoup plus simples à utiliser pour les conducteurs.

Détails techniques
Une BV synchronisée utilise des synchroniseurs pour changer de vitesse en douceur, afin d’amener l’arbre et le pignon à des vitesses similaires (une sorte de petit embrayage pour chaque rapport, en quelque sorte).
Les pignons tournent sur l’arbre secondaire, mais sans en être solidaires, avec des roulements entre les éléments. Ils sont entraînés par l’arbre primaire mais ne transmettent aucune puissance à l’arbre secondaire. C’est là qu’intervient la synchronisation : les « fourchettes » (fixées sur l’arbre secondaire via des cannelures) ne vont pas faire bouger les pignons, mais ces synchroniseurs qui comportent des dents (ou crabots), lesquelles vont ensuite se solidariser au pignon.
Ainsi, lorsque l’on passe de première en seconde, la fourchette vient désolidariser le crabot du pignon de première et le solidariser avec le pignon de seconde. Les deux pignons étant en rotation, les efforts sont moindres et les rapports s’engagent de façon plus souple.

Sur les motos (comme sur certaines voitures de sport ou certaines voitures anciennes), la BV est dite « à crabots ». Ce système a été conservé car plus simple, moins lourd et plus compact.

Détails techniques
Les différents rapports de boîte, matérialisés par des paires de pignons, sont engagés grâce à des crabots situés sur leur flanc. C’est ici directement le crabot qui est amené en contact avec le pignon et transmet la puissance à l’arbre secondaire.
En l’absence de synchroniseur, il faut que la différence entre la vitesse de rotation respective des crabots soit la plus faible possible pour qu’ils puissent s’accoupler de manière fluide. Tout l’enjeu d’un changement de rapport réside dans la neutralisation de ces différences de vitesse de rotation. 

Avec ce type de BV, quand on sait à quel régime le pignon de tel rapport tourne à la même vitesse que l’arbre secondaire, ce qui est le seul moment où la BV ne se trouve pas en contrainte, qu’elle ne subit pas aucun effort mécanique… on peut alors changer de rapport sans débrayer !

C’est tout le but de la technique du changement de rapport à la volée :

  • Pour passer les vitesses sans l’embrayage à la montée des rapports, il faut soulager la BV du couple créé par l’accélération, ce qui revient à le « ralentir » le temps que les pignons du rapport supérieur « s’accouplent » et que la vitesse s’enclenche.
    Il s’agit donc de relâcher les gaz un bref instant, mais surtout au « bon moment », à l’instant exact juste avant d’enclencher le rapport supérieur.
  • Pour passer les vitesses sans l’embrayage à la descente des rapports, il faut soulager la BV du couple créé par la décélération, soit « relancer » le moteur, le temps que les pignons du rapport inférieur s’accouplent.
    Il s’agit donc de donner un petit coup de gaz au bon moment, juste avant de rentrer le rapport inférieur.

Comme c’est impossible sur une BV synchronisée, cette technique est spécifique à la moto, peu connue en dehors de la compétition et rarement enseignée hors des écoles de pilotage.

Effectivement, pas besoin de savoir ça pour conduire correctement une moto !
On peut très bien s’en passer et rouler toute sa vie sans ça. Mais des fois, ça aide…
Je me souviens notamment d’une fois où je n’avais plus d’embrayage (fuite du liquide d’embrayage sur un embrayage hydraulique) juste avant d’arriver au sommet de la Cime de la Bonette, je dois dire que passer les rapports à la volée m’a bien dépanné sur le moment !

En pratique

Comme déjà dit, cette technique de passage de rapports n’est pas indispensable.
Dans le cadre d’un usage routier non sportif, ce n’est même pas utile – hormis en dépannage ponctuel sur une impossibilité d’utiliser l’embrayage à cause d’une défaillance mécanique ou d’une difficulté physique au bras gauche, au poignet gauche ou à la main gauche.

Le but de cette technique étant d’éviter la perte de vitesse (et de temps) causée par la décélération et le passage en roue libre, elle trouve son origine dans le pilotage de compétition sur circuit. C’est là qu’elle s’avère le plus utile.
Par mimétisme, certains motards l’utilisent aussi sur route, dans des phases de conduite « sportive », en arsouille, pour faire comme les pilotes pro. Honnêtement, si vous en êtes à chasser le dixième de seconde quand vous êtes à l’attaque avec les potes, il va falloir songer à vous remettre en question… Il y a peut-être d’autres choses plus importantes à améliorer dans votre conduite (ou votre mentalité) avant de vouloir recourir à cette technique !

Cette technique de conduite trouve son aboutissement dans la création, l’usage et la généralisation du « shifter », traduction matérielle des mêmes principes mécaniques.
Dans la même logique, autant je comprends l’existence du shifter sur des motos de course, autant je trouve cet équipement dénué d’intérêt pour un usage routier.
Au passage, je trouve amusant de constater combien les mêmes motards, qui ne connaissaient pas le changement de rapports à la volée ou disaient ne pas en avoir l’utilité, viennent à tresser des louanges au « shifter » une fois qu’ils en disposent sur leur moto, jurent leurs grands dieux qu’ils l’utilisent tout le temps, que c’est si confortable, tellement plus mieux qu’avant…

Pour ma part, je débraie toujours un petit peu quand je change de rapport. Mais très peu : je tire juste le levier d’embrayage pour le placer dans la zone de patinage, cela suffit pour changer de rapport en douceur. Pas la peine de débrayer totalement en collant le levier à la poignée…
En résumé, j’utilise le principe du passage à la volée, mais sans prendre de risque mécanique.

Précautions d’usage

Non seulement cette technique n’est pas nécessaire, mais elle peut s’avérer préjudiciable si elle n’est pas maîtrisée.

Tout d’abord, tous les moteurs et toutes les BV ne supportent pas (ou pas toujours bien) le passage à la volée :

  • à cause de leur conception, car tous les crabots n’ont pas le même profil, certains sont plus tronqués que d’autres pour plus de fluidité
  • à cause du type de transmission secondaire : chaîne, cardan, courroie
  • à cause de l’étagement des rapports de boîte, car plus les écarts de démultiplication sont importants, plus les contraintes mécaniques le sont aussi.

Typiquement, sur les BV « agricoles » avec de très forts couples et une transmission par courroie, cela ne se fait pas. Pour tout ce qui est Massey-Ferguson, Harley-Davidson, John Deere, Indian et autres Victory… oubliez ! ^^

En dehors de l’aspect purement mécanique qui va poser des contraintes supplémentaires et peut engendrer des dégâts sur la BV en cas de mauvaise maîtrise, un changement de rapport mal géré peut entraîner une réaction perturbatrice, qui va dégrader l’adhérence et l’assiette de la moto, et donc créer un danger pour votre sécurité.

Un rétrogradage mal géré peut générer un à-coup de frein moteur, parfois si puissant qu’il va brièvement bloquer la roue arrière, ce qui sera dangereux en virage. Cela se produit quand on rétrograde brusquement (en relâchant brutalement le levier d’embrayage ou sans employer l’embrayage) avec encore trop de régime moteur.

Une montée de rapport mal gérée peut provoquer soit un calage moteur (quand le régime moteur est trop bas), soit un décollage de la roue avant (quand le régime moteur est trop élevé).

Comprenez bien que la difficulté principale de la technique de changement de rapport à la volée consiste à l’employer au bon moment, dans la bonne plage de régime moteur.
Or cette plage de régime moteur varie selon chaque moteur, en fonction de la cylindrée, de l’architecture du moteur… Impossible de vous donner des chiffres précis qui seraient universellement valables. Il va vous falloir identifier le bon moment pour votre moto !

Ce qui suppose d’abord de bien la connaître, de comprendre ses réactions, et ensuite de s’entraîner pour acquérir les bons gestes, rapides et précis.
Il faudra vous entraîner dans des conditions optimales de sécurité. Ne croyez pas que ça va venir facilement et que vous allez pouvoir mettre cette technique en place du premier coup en pleine arsouille dans un virage avec adhérence dégradée ! Ce serait le meilleur moyen de vous satelliser…

L’entraînement commence en ligne droite, sur une route déserte, hors agglomération, de jour, par beau temps, sur un revêtement propre… et surtout avec des gestes calmes, sans précipitation. Il ne faut pas avoir besoin de se presser !
Ce n’est qu’une fois que vous aurez bien assimilé la séquence de gestes que vous pourrez ensuite augmenter d’abord la rapidité d’exécution, puis la difficulté en variant les environnements routiers, les contextes.

À la montée

Avant toute chose, vous devez identifier la plage de régime moteur idéale pour le changement de rapport. En général, elle se situe environ 1.000 à 2.000 tours/minute en-dessous du régime de couple maximal.
Pour en savoir plus, lire Prendre un virage : l’allure

Cette plage de régimes s’avère plus ou moins restreinte selon l’architecture moteur : elle est plus resserrée sur les monocylindres et plus large sur les 4-cylindres. Pour vous donner une idée, sur les moteurs à 2 ou 3 cylindres, elle s’étale sur environ 1.500 à 2.000 rpm.
En-dessous ou très au-dessus de cette plage de régime moteur, le changement de rapport sans débrayer risque soit de coincer, soit de passer en forçant, ce qui abîme la BV.

Une fois que vous saurez à quel moment changer de rapport, la technique est simple mécaniquement, mais demande (encore une fois) une grande coordination psychomotrice.
Il faut enchaîner (le plus rapidement possible) quatre actions :

  • pré-charger le sélecteur de rapport, en exerçant une légère pression avec le pied gauche, sans forcer
  • couper les gaz d’un coup, complètement mais brièvement
  • changer de rapport en exerçant une pression ferme avec le pied gauche, franche mais pas brutale
  • remettre du gaz, toujours en souplesse

La technique est plus facile à mettre en oeuvre à la montée de rapport (« shift up »).
Je vous conseille de bien vous entraîner à la maîtriser sur la montée, avant de vous attaquer à la descente de rapport « shift down »).

À la descente

La séquence est presque la même pour rétrograder sans débrayer.
Il faut enchaîner (le plus rapidement possible) trois actions :

  • pré-charger le sélecteur de rapport, en exerçant une légère pression avec le pied gauche, mais sans forcer ;
  • mettre un petit coup de gaz, bref et pas trop prononcé (500 à 1.000 rpm, pas plus)
  • changer de rapport en exerçant une pression ferme avec le pied gauche, franche mais pas brutale

Le geste n’est pas évident puisqu’il demande de mettre un coup de gaz au moment où on veut ralentir la moto. Il faut vraiment le travailler pour mettre juste ce qu’il faut de gaz (pas trop, ça ne sert à rien) et surtout pile au bon moment.

Je vous conseille de d’abord vraiment maîtriser le rétrogradage avec coup de gaz (lien ci-dessous) avant de vous attaquer à la descente de rapport à la volée. La maîtrise de la première technique, moins traumatisante pour la BV, vous aidera dans la bonne appréhension de cette seconde technique.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.