C’est un des petits plaisirs (mesquins, comme il se doit) du motard routier de pouvoir s’arsouiller (gentiment, bien sûr) avec d’autres motards rencontrés au hasard de ses périgrinations. Faut-il pour autant tous les pourriiiiiiiiir (c) JBT ?

L’arsouille, c’est quand notre bas instinct de compétition se réveille et nous pousse à nous mesurer aux autres motards.
La différence entre le pilote de compétition et le motard barbare tient à la maîtrise de cet instinct, à sa capacité à se mesurer au sens propre, pour s’évaluer sans chercher la victoire à tout prix. Autrement dit, à savoir s’arrêter, à savoir perdre avec panache et à en tirer les leçons avec intelligence. En ce sens, la compétition peut être instructive.

Entendons-nous bien: je ne fais pas l’apologie de l’arsouille pour elle-même, mais je la justifie en l’encadrant dans certaines conditions, notamment que ça se fasse hors agglomération, sans faire courir de risque à qui que ce soit (sauf au motard trop teigneux, au pire).

En ville, c’est d’une part bien moins drôle, car les hasards de la circulation jouent une part trop importante, et d’autre part beaucoup plus dangereux pour soi, l’autre motard et les autres usagers.
Par contre, sur route hors agglomération, y a moyen de se faire plaisir !

Oh bien sûr, cela ne tient souvent qu’à peu de chose… Juste un virage bien négocié, un rond-point bien appréhendé, ou juste une ouverture qu’on a su exploiter au bon moment.
Cela tient à si peu, tout se joue en quelques secondes, au plus quelques minutes. Qu’est-ce que cela apporte ? Qu’est-ce que cela prouve, au fond ? Y a-t-il même quelque chose à prouver ?

A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.
Il n’y a aucun intérêt à se taper la bourre en ligne droite, quand seule la puissance parle. Là, ce n’est pas la compétence du pilote qui s’exprime, mais la qualité de la machine, donc souvent le portefeuille de son propriétaire. Ou son inconscience.
Je ne ressens personnellement aucune humiliation à me faire doubler en ligne droite par des fondus qui me font sursauter en me rasant la moustache à plus de 180 km/h alors que je suis déjà moi-même en excès de vitesse de 30 ou 40 km/h… Et je n’éprouve aucune gloire à dépasser un brave gars qui se balade tranquillement, parfois avec sa femme ou son fils derrière lui. Nous ne sommes pas tous tout le temps à l’attaque, chacun a le droit de se reposer.
C’est tellement plus gratifiant de déposer un gars en sportive kéké réplica avec ses pots « full barouf » qui déhanche comme un malade (mais avec le genou à 30 cm du sol) et qui vous voit vous rapprocher petit à petit… Perso, je préfère même ne pas le dépasser. Avant tout parce que c’est la phase la plus dangereuse et que je ne sais pas comment il va réagir. Je ne vais pas risquer de me mettre au tas à cause d’un crétin qui refusera de s’écarter ou élargira brusquement sa trajectoire. Je préfère de loin rester derrière, juste derrière, le laisser essayer de reprendre de l’avance et se rendre compte qu’il n’y arrive pas. A la longue, il va laisser tomber et plutôt que de se ridiculiser davantage, il me laissera passer en douceur, sans risque ni pour lui, ni pour moi.
Oui, je sais, c’est vilain…

« La puissance n’est rien sans maîtrise » (proverbe FRM)
Tout motard sait (ou devrait savoir) que la moto ne compte que pour environ 20 % de la performance en virage.
En ligne droite, c’est différent, seule la puissance compte. Mais en virage ou sur circuit, c’est bien la compétence de pilotage qui fera la différence, même avec une moto bien moins puissante sur le papier.

Une moto, ce n’est pas que des chevaux vapeur et des kilowatts. Un moteur, c’est aussi du couple (capacité d’accélération), des régimes, et surtout un comportement moteur avec un régime de puissance maximale et un régime de couple maximal. Et une moto, c’est aussi une partie-cycle, des suspensions, des pneus, des freins…
Tout cela influe sur la performance, surtout en virage.

Un copain disait que pour savoir qui est le meilleur pilote, il faudrait donner à tous exactement la même moto, sur le même circuit, le même jour. Au bout de dix tours de reconnaissance et d’échauffement, celui qui fait le meilleur temps sera le meilleur pilote.
Sur le principe, c’est incontestable.
Mais sur route, c’est impossible à réaliser. Qui plus est, le « meilleur » motard (ce jour-là à ce moment-là) sera celui qui sera non seulement le meilleur pilote, mais aussi capable de mieux lire la route, d’anticiper, de réagir aux dangers imprévus qui peuvent toujours se présenter. La route ouverte ajoute bien d’autres dimensions (donc de risques) que la simple performance de pilotage comme sur circuit.

On ne s’arsouille pas avec n’importe qui.
A la base, conduire « vite » (c’est-à-dire en excès de vitesse quoi qu’il arrive et parfois à la limite de la vitesse excessive) demande déjà une forte concentration et de bonnes compétences de pilotage quand on roule seul. A deux ou trois, la vigilance requise est multipliée d’autant car il faut tenir compte non seulement d’un moindre champ de vision (sauf pour celui qui est devant), mais aussi de la position et du comportement des autres (et c’est valable pour tous).

Même en étant devant, je ne peux pas faire ce que je veux car le risque de collision (donc de chute) avec celui qui est derrière (ou à côté de moi, ce qui ne devrait jamais arriver) est réel.
C’est déjà pas facile en roulant avec quelqu’un qu’on connaît, dont on peut anticiper un minimum les réactions, à qui on peut faire confiance pour ne pas se planter tout seul ou pire pour ne pas vous envoyer dans le décor en tentant une manoeuvre suicidaire.
Alors avec un(e) inconnu(e), voire plusieurs…

On ne va pas se voiler la face, oui c’est dangereux !
Et en plus, ce n’est pas très intelligent, ça n’apporte rien concrètement: on n’y apprend rien ou presque, on surconsomme de tout (essence, pneus, plaquettes, usure moteur), on accroît le risque de se faire interpeller…
Honnêtement, pas grand-chose ne justifie l’arsouille sur route ouverte.
Rien que le pur instinct de compétition.
Et ce n’est pas toujours seulement l’atavisme masculin (voire macho) de « qui qu’a la plus grosse ».

Etre motard, c’est prendre des risques et assumer ces risques. Si on choisit d’augmenter le facteur de risque (par une arsouille impromptue), il faut aussi savoir augmenter son niveau de gestion du risque. En étant plus concentré, plus vigilant, en s’assurant de bien connaître la route, en haussant son niveau de pilotage. Et il faut aussi savoir à partir de quand on roule « au dessus de ses pompes », savoir apprendre à lâcher l’affaire.

Quand il y a une trop grande différence de puissance ou de niveau, il faut admettre que le jeu n’en vaut pas la chandelle. Mettre sa vie en jeu uniquement par orgueil, juste pour espérer montrer qu’on a de grosses coucougnettes, là ce serait puéril.
Personnellement, j’aime le risque, mais quand il n’engage que moi et quand il comporte un minimum d’utilité.

Tout cela se gère et cette gestion s’apprend. Là est l’apport de l’arsouille sur route avec des motards de rencontre. C’est bon pour la maturité. Si si…
Et puis tout simplement, ça fait plaisir !
Surtout quand on gagne, faut dire…

7 thoughts on “L’arsouille comme apprentissage”
  1. Bonjour Fabien,

    Je me suis longtemps interrogé sur l’origine de ce terme étrange d’arsouille, qui n’est par ailleurs pas exclusif à la moto. D’après le dictionnaire de l’Académie Française, le mot serait « d’origine obscure ». La seule étymologie qui me semble plausible est celle d’un Anglais, qui aurait observé un groupe de gens au comportement louche, et qui les aurait qualifié d’un joli mot de la langue de Shakespeare qui commence par « arse » (le derrière) et qui finit par « hole » (un trou). Bon, je ne te fait pas un dessin! Des oreilles Françaises en auraient fait une arsouille, un peu comme le « riding coat » de nos cousins Anglais est devenu la redingote ici.

  2. De bons moments à moto c’est lorsque au hasard de la route nous croisons (je roule souvent avec mon compagnon, chacun sa moto), un motard solitaire avec qui nous nous tirons gentiment la bourre jusqu’à ce qu’un rond point ou un carrefour nous séparent, chacun suivant une route différente. Le rythme a augmenté, c’est super stimulant, et j’ai plus l’impression d’avoir roulé avec un « pote » motard avec qui nous avons partagé un pur moment de bonheur moto que contre un « concurrent »!

    Quand je vois (j’entends :-)) par contre arriver derrière moi, sur une route bien viroleuse inconnue, un ou des motards à fond, qui ont manifestement un niveau et une expérience supérieurs aux miens, je me fais un plaisir de ralentir pour leur permettre de me dépasser le plus rapidement et surtout le plus « sécuritairement » possible, ce qui est toujours suivi d’un grand « merci » motard!

    Il y a par contre parfois le « super pilote » qui dépasse à fond en virage serré, en se déhanchant un max et en frôlant le parapet de sécurité avec la main, ou mieux, en wheeling, au risque de se manger la glissière de sécurité ou de tuer quelqu’un, pour bien montrer que LUI il sait piloter, et surtout en mettre plein la vue à la « pauv’ débutante » qui se « traîne » avec sa minable CB 500 « pourrie »… Ce sont d’ailleurs toujours des rencontres printannières, éphémères comme les primevères, cachées en automne, invisibles en hiver…

    Je saisis, lorsque je le « sens », les occasions de bousculer un peu mon rythme, ce qui je crois permet aussi de progresser. L’arsouille c’est chouette quand ça permet de progresser dans un esprit stimulant de partage, d’humilité et de conscience son niveau!

    La moto pour moi c’est un peu comme l’acquisition de la marche quand on est enfant! Les progrès/acquisitions sont progressifs, et on ne peut pas courrir avant de savoir marcher, voire avant de savoir tenir debout!

    Merci pour cet excellent site, auquel je me réfère régulièrement lorsque je me pose des questions!

  3. Le côté canaille du motard qui cherche l’arsouille est bien senti.
    Après avoir participer à plusieurs concentres, avoir roulé avec des groupes de différents niveaux, que ce soit en ouvreur ou en suiveur, en sortant le grand jeu (et en serrant un peu les fesses par moment) ou en me promenant, au final, le pied en 2 roues, pour moi, c’est enrouler tout en style, en soignant ses trajectoires au couteau, en touchant le moins possible aux freins mais en privilégiant le frein moteur, en essayant d’accélérer le plus tôt possible en sortant de courbe.
    En cherchant tout simplement à rouler sur le couple max de son engin et ainsi en tirer toute la jouissance de son moulin.
    Enfin, à force de concentration, de communion et de sensations , ne faire plus qu’un avec sa machine…
    et même en roulant tout seul !
    Let’s have fun
    V+++

  4. Oh! Comme c’est bien dit tout ça, tellement vrai et intelligent. Je partage totalement ces avis car j’estime que l’on peut largement se faire plaisir tout en ayant le respect de l’autre et de la vie (eh oui) tout n’est qu’une histoire d’intelligence et surtout d’humilité.
    En tout cas que le meilleure gagne..sur tous les plans. Bonne route à tous.

    Jean. Luc

  5. « Il n’y a aucun intérêt à se taper la bourre en ligne droite, quand seule la puissance parle. Là, ce n’est pas la compétence du pilote qui s’exprime, mais la qualité de la machine »
    « Mais en virage ou sur circuit, c’est bien la compétence de pilotage qui fera la différence, même avec une moto bien moins puissante sur le papier. »
    « C’est tellement plus gratifiant de déposer un gars en sportive kéké réplica avec ses pots “full barouf”  »

    sans etre un super arsouilleur, c est exactement ce que je pense…
    bel article…

    – – –

    Merci ! 🙂

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